Un vol très particulier !
C’était une fin de journée en escadron à Dijon. Les vols de la journée étaient posés, les pilotes du dernier tour en train de débrieffer, les mécanos s’affairaient pour préparer les avions pour le lendemain. J’avais volé dans la matinée…un vol simple, au profit d’un jeune pilote qui attaquait sa “transfo” sur nos tous nouveaux Mirage 2000-5…version magnifique et aboutie de la série des Mirage 2000 de Défense Aérienne.
Tout à coup, la sono de l’escadron crachote…je suis appelé aux ops.
– Tu peux partir à Mont-de-Marsan ?
– Ben oui…quand ?
– Tout de suite…il faut amener 2 avions au CEAM (Centre d’Expérimentation Aérienne Militaire) avant la nuit. Ils ont besoin d’avions pour valider un nouveau système de restitution demain matin mais ils ont trop d’avions en panne et la validation ne se fera que s’ils ont suffisamment de participants ! Tu pars avec XX (un jeune pilote). Attention, vous ne pourrez pas vous poser là-bas après la nuit aéro (30 minutes après le coucher du soleil)…
– OK ! mais le soleil se couche bientôt !
– Si vous arrivez trop tard, vous vous posez à Cazaux et vous décollerez de là-bas pour faire la mission demain matin.
Je pensai aussitôt qu’il fallait faire vite. Une grosse mission au CEAM, je préférais la faire en partant du même terrain que les autres avions de la patrouille. Ce genre de mission était très souvent effectué par des pilotes très expérimentés, très orientés vers la mission technique d’expérimentation et peu habitués aux émois d’un jeune équipier dont la principale préoccupation consistait à savoir comment rassembler la patrouille, rester en place et revenir se poser. Je préférais donc participer au mass brief (briefing avec tous les intervenants) et donner un complément de consignes ensuite à mon numéro 2.
– Bon la météo est parfaite sur toute la France…On file…pas le temps de poser un plan de vol en Haute Altitude…tu peux nous poser un plan de vol en COM Victor pendant qu’on va aux avions ? Trajet direct vers Marsan !
– OK !
Briefing ultra rapide, nous percevons nos avions en signant la FORM 11. Les avions sont prêts.
Nous mettons en route alors que le soleil est presque couché…il commence à faire sombre ! Nous sommes rapidement autorisés à rouler et à décoller et prenons aussitôt un cap à l’Ouest-sud-ouest.
Nous nous éloignons du terrain en montant légèrement afin de nous affranchir des vitesses maximum en très basse altitude (la vitesse est limitée à 450 Kts sous 1500 pieds/sol) et nous accélérons à Mach 0,95. Il fait maintenant sombre et le soleil à disparu sur l’horizon.
Je prépare le système pour une arrivée à Mont-de-Marsan, contacte le terrain de Saint-Yan dont nous traversons la zone, jette un oeil à ma carte pour vérifier les zones futures que nous allons croiser tout en regardant toujours dehors, la règle en vol à vue étant de voir et éviter les autres avions…même si à cette heure-ci, les autres avions sont rares ! Je suis d’ailleurs gêné…le soleil rasant m’éblouit un peu.
Le soleil rasant ?…il me semblait pourtant qu’il était couché !
J’essaie d’observer le soleil, abaisse la visière fumée de mon casque pour ne pas être trop ébloui…et je constate qu’effectivement, le soleil se lève à l’ouest ! Je n’en crois pas mes yeux ! Une seule possibilité : nous allons plus vite que la rotation de la terre ! J’ai pourtant subi une solide formation aéro, plus de 2000 heures de vol en Mirage et je n’avais jamais pensé à ce phénomène…
Calcul rapide : La tour complet de la planète, c’est 360 degrés, chacun mesurant 60 Milles nautiques à l’équateur. nous sommes à environ 45° de latitude nord soit 60 X 0,7 (le cosinus de 45°) = 42 milles nautiques = la longueur d’un degré sous nos latitudes. 42 x 360 = bon un peu plus de 15 000 Milles nautiques…qui représentent la tour de la planète sous 45°. Et 15 000 / 24 heures = environ 625 Milles nautiques par heure…il nous faut donc aller plus vite que 625 Kts…et c’est justement la vitesse indiquée à laquelle nous volons à 4000 pieds, soit une vitesse sol légèrement supérieure…confirmée en jetant un coup d’oeil à la centrale à inertie.
Pour parvenir à ce moment très particulier, il fallait la conjonction de plusieurs éléments :
Voler avec un cap à l’ouest, juste après le coucher du soleil et suffisamment vite pour “rattraper” le soleil. Cette vitesse ne pouvait être atteinte qu’en basse altitude sans passer en vol supersonique…ce qui est interdit au dessus du territoire national.
J’ai pris quelques secondes pour savourer ce moment rare qui est resté précieux pour moi. Quelques secondes car évidemment à ces vitesses là, on ne peut pas bailler aux corneilles très longtemps !
Nous avons réduit notre vitesse à l’approche de Mont-de-Marsan, ce qui a très rapidement provoqué un nouveau coucher de soleil ! Nous nous sommes cependant posés à destination avant la demi-heure fatidique qui nous aurait déroutés sur Cazaux…
Des souvenirs de vols en Mirage…j’en ai plein ! Premier solo, premier décollage sur alerte, combats rapprochés acharnés, ravitaillements en vols par météo capricieuse, retour en panne, première mission de guerre, vols de qualification etc…Il n’en reste pas moins que ces quelques minutes passées à contempler un lever de soleil à l’ouest dans la quiétude d’un vol de fin de journée resteront comme l’un des moments ou j’ai vraiment eu la sensation d’être un privilégié !