A propos de l’auteur : J’ai croisé Jerome Laval à l’Ecole de Chasse à Tours à la fin des années 80. Il a préféré filer aux Etats-Unis passer ses brevets de pilote, et a volé sur plusieurs types d’avions, notamment dans le cadre de la lutte contre les feux de forêts. Depuis, il a rejoint le “CalFire”, l’équivalent de notre sécurité civile en Californie. Il nous raconte ici un moment dont il se souviendra certainement longtemps…
JEP, webmaster de AirExperience-blog.com
Tanker 65, un Douglas DC-4 qui fut l’avion personnel de l’Amiral Nimitz en 1943, 44 et sert maintenant à combattre les feux de forêts dans l’ouest des Etats Unis. Une belle capacité d’emport de 10 tonnes de produit retardant, une silhouette magnifique, 4 moteurs R-2000 qui ronflent bien et c’est parti pour l’aventure ! Survol non pas du grand canyon mais dedans, au fond. Magique. Nevada, Oregon, Nouveau Mexique, Arizona. Au fond des vallées, des déserts, au milieu des forêts en flammes. Les moteurs rugissent, le relief défile en dessous, juste la, tout près. C’est l’avantage de piloter des avions feux de forêts ; on voit tout de très près. On connait bien le pays.
Les Douglas sont des avions magnifiques. Une aile bien dessinée, un fuselage qui définit le classicisme d’un avion. Je le nettoie, le bichonne. Ses moteurs crachent de l’huile et son essence sent la vraie essence.
Une après-midi, on décolle de Minden dans le Nevada, cap au sud. Feu au nord de Bishop, à l’est de la Sierra Nevada pas loin de Mono Lake. Après une petite croisière on aperçoit un gros nuage de fumée dense et noire. On se rapproche et a peine arrivés dessus, l’avion de commandement nous dit qu’il doit partir à cause d’un problème mécanique. Nous voilà tout seuls face à petit monstre de 150 hectares. Un feu très actif, dynamique. Des grosses flammes. Pat le Captain entame un virage gauche pour se mettre en orbite au-dessus du feu, observer la bête, prendre ses marques et là, en quelques secondes on perd 3000 pieds alors que je mets les hélices et la puissance des 4 moteurs à fond ! L’avion vibre, les moteurs hurlent, les aiguilles sont dans le rouge. Ça vibre tellement que je ne vois plus les instruments, a peine les couleurs vert, jaune, rouge. Je me tourne vers Pat, très concentré et inquiet. Je ne le reconnais pas. L’avion ne vole plus. Plus d’air. Le feu a aspiré l’oxygène et redouble de puissance. On tombe. Effroi. Pat a largué le retardant mais on continue de tomber. Impossible ! Et pourtant si !
A cet instant précis, Pat eu deux bons réflexes. 40 saisons de feux de forent et 15 ans d’épandage agricole. Il pousse sur le manche vers le sol, les arbres, les rochers et me parle doucement ; « je vais prendre de la vitesse, ça va aller, surtout ne t’inquiète pas, ok ? ça va aller. » Mais on plonge tous moteurs hurlants vers la forêt en flammes , vers le sol, vers les arbres. On est à 400 pieds, 300, 200… je vois la cime pointue des arbres. Je lui réponds ; « Je suis avec toi Pat ».90…91…96..102 Noeuds. Je lis la vitesse de l’avion. Je regarde les cimes. On va se crasher. On va se… 105, 107 puis l’avion arrête sa descente. Les arbres sont a 10 mètres, 5 mètres en dessous. Pat incline légèrement à droite vers la rivière que je découvre et le relief s’éloigne plus bas. Il pousse encore sur le manche tandis que mes deux mains sont sur les 4 mannettes des hélices et 4 manettes de puissance, à fond. Il prend encore de la vitesse. On revole. On se sort petit à petit d’affaire.
J’entends une voix qui hurle. La Radio. Les pompiers au sol nous ont vus plonger et disparaitre derrière la forêt, les flammes, la fumée « Tanker 65 ! Tanker 65 ! » s’égosille la Radio. Finalement Pat leur répond que ça va, on est OK. La voix dit « on a cru que vous alliez vous crasher ! ». « Nous aussi » répond Pat en remontant à une altitude acceptable de 500 pieds sol. « Ou est Bishop ? » me demande Pat en me souriant. Je réduis les moteurs. Pauvres moteurs… je leur en ai mis plein la tête. Je réduits les hélices. Je regarde chaque jauge. Mes pauvres. Je les bichonne. Je les connais bien. Je tripatouille le GPS. « C’est par là, a 50 Nautiques au sud Puis on se regarde avec mon Pat, mon Captain. On sourit. On tremble. On rit. On éclate de rire ! On rit à pleurer ! On se regarde. On explose de rire ! Nos mains tremblent.
L’aéroport de Bishop se détache au loin. Train sorti, volets. L’avion embrasse délicatement la piste.
La base nous appelle ; « Tanker 65, vous devez retourner sur le feu dès que possible ! Il a doublé de volume ». « Ok. On prend du retardant un peu de carburant, un sandwich et on y retourne. ».
Pendant le vol retour vers le feu, Pat m’explique pourquoi il m’a parlé, m’a rassuré. Il avait peur que je panique, lui prenne les commandes des mains et fasse une grosse connerie au pire moment.
Je repense souvent à ce double geste d’une grande maitrise : Rassurer son copilote tout en pilotant au plus fin a quelques secondes d’un crash. Quelle lecon.
L’aventure sur ce DC-4 continuera toute la saison jusqu’en Octobre-Novembre où Los Angeles verra les incendies les plus destructeurs de son histoire. On était en plein milieu de ce chaos.