Le jour ou l’Armée de l’Air perdit 6 Mystère IV

Cela se passe en mars 1966…

…au sein de l’Escadron de Chasse 2/8 « Nice » en charge de la transformation de jeunes pilotes sortis de l’école de Chasse afin d’en faire des équipiers pilotes de chasse. Ici, plus question d’élèves et d’instructeurs…il n’y a plus que des leaders et des équipiers !

Les jeunes pilotes sont lâchés sur Mystère IV (il n’existe pas de version biplace de l’engin) …un avion pas simple, notamment au roulage ! Le premier tour était d’ailleurs limité à un…tour de parking et il n’était pas rare que le jeune pilote, toute fierté ravalée, soit obligé d’appeler au secours pour se faire sortir d’une situation humiliante…la roulette de nez coincée en travers et l’avion refusant de bouger…

En ce mois de mars donc, la promo progresse normalement et chacun commence à penser à sa future affectation…lorsqu’une navigation de fin de stage est organisée…destination Séville ! La mission ne se fera pas à 4 avions comme à l’habitude mais à 6 ! 3 leaders sont donc désignés et 3 équipiers sont tirés au sort…

Une navigation à l’étranger ne présente plus aujourd’hui de difficultés particulières. La documentation est facilement disponible, l’avènement d’internet permet de connaître les mises à jour en temps réel, les évolutions météo et l’anglais aéronautique sont connus dans (presque) toutes les tours de contrôle. Cela était plus compliqué en ces années. Documentation plus rare, mises à jour aléatoires, anglais de même, en France comme dans les pays adjacents.

Profil de Mystère IV de Jacques DAVY

Pour un jeune pilote, la préparation se fait donc dans un mélange de fébrilité et d’enthousiasme ! Le leader, commandant d’escadrille prépare le vol et distribue les taches…et chacun trace la navigation sur une « radio nav » 2 000 000 ainsi que sur une « million ». Indicatif de la patrouille : Riquet Noir.

La prévision météo sur le parcours et à l’arrivée sont parfaites.

Chaque équipier doit rester en formation serrée « lâche » sur son leader jusqu’à l’arrivée prévue en vol à vue à l’issue de la descente. Néanmoins, une procédure mauvais temps est prévue en cas d’aggravation non prévue. Il s’agit d’une procédure au Radio-Compas…seul moyen de navigation en cas de mauvais temps sur Mystère IV…chacun connaît les codes morse des balises nécessaires en ce cas (pour vérifier que le Radio-compas est bien sur la bonne balise, le pilote devait écouter le code morse de la balise en phonie).

Le briefing est « carré », tout le monde sait quoi faire et sait comment réagir en cas d’imprévu…du moins, c’est avec ce sentiment que chacun part aux avions.

Le roulage est effectué à l’heure…seul le numéro 4, un équipier, manque à l’appel au moment de la mise en route…tant pis pour lui ! Il n’était pas prévu d’attendre un avion qui aurait un problème…il parvient finalement à rejoindre la patrouille au point de manœuvre…juste avant l’alignement pour le décollage.

La navigation débute comme une promenade en haute altitude par beau temps…les pilotes se contentent de vérifier qu’ils restent sur la voie aérienne, que le Radio Compas bascule bien à la verticale des balises…le contrôleur a bien un accent différent de l’habitude mais tant qu’on s’en tient à des procédures standards, tout le monde parle le même anglais !

Les seuls incidents viennent des changements de fréquences radio. En effet, les changements de fréquence sur Mystère IV étaient particulièrement laborieux et il était assez courant qu’il manque quelqu’un à l’appel lors des changements de centre de contrôle…cela ne fera qu’ajouter à l’imbroglio qui va suivre…

En effet, approchant de Séville, la patrouille est descendue au niveau 230 avec Madrid contrôle avant le transfert avec Séville contrôle… La dernière balise avant Séville est passée, changement de fréquence Radio Compas…cap 190 vers le terrain d’arrivée…

Brusquement, divers paramètres transforment ce vol tranquille…le Radio Compas capte très mal la balise de Séville, le signal morse est inaudible et le gisement est instable…

La fréquence radio de Séville fonctionne mal, le leader a du mal à se faire comprendre. Il manque un équipier en fréquence.

Devant la patrouille, une couche nuageuse imprévue pousse le leader à demander à descendre vers un niveau 170 pour rester en VMC. Séville l’accorde et comprend que la patrouille termine son vol à vue et ordonne pour cela de basculer sur la fréquence de Séville tour. Le leader donne ses consignes pour récupérer celui qui n’est pas en fréquence puis pour adapter la formation afin de faire face à un éventuel passage dans les nuages. Pendant ce temps, le cap 190 est maintenu, la visibilité oblique est très faible…seule la vue du sol à la verticale est conservée…et il est impossible d’en placer une sur la fréquence de Séville Tour…cela parle en anglais, en espagnol, quelqu’un égrène des informations météo…la patrouille avance sans trop de visibilité, ne parvient pas à se faire entendre, et avance…retour sur Séville contrôle qui ne fait rien de mieux que donner de nouvelles fréquences pour passer sur la tour de contrôle…sans résultat et sans guidage radar, pas plus que d’aide à la navigation opérationnelle…la tension monte…les fréquences appelées restent silencieuses ou saturées et personne ne semble recevoir les Riquet noirs !

Dans le mystère IV du leader, le radio compas indique tout à coup que Séville est passé ! Rien d’étonnant ! avec tout ce temps passé à tenter de contacter une tour qui ne veut pas répondre, à récupérer des équipiers qui ont raté le changement de fréquence, à tenter de repérer dehors quelque point caractéristique pour savoir où se trouve le terrain d’atterrissage…Séville est derrière ! Demi-tour et mise de cap au 330 vers ce gisement…qui n’a pas tenu et a disparu…Riquet noir 3 en reçoit bien un mais décalé de 20° et Noir 5 n’en a pas non plus mais reçoit bien l’indicatif en morse…voilà 6 avions dans de beaux draps ! C’est d’ailleurs ce qu’annonce le leader à toute la patrouille, faisant prendre conscience aux équipiers inexpérimentés qu’il se passe « quelque chose » que ne maîtrisent pas les leaders…sentiment étonnant pour de jeunes pilotes tant leur confiance en leur leader est ancrée en eux…le pétrole diminue et ils ne parviennent à contacter personne, ne savent pas exactement où ils sont, ne disposent d’aucun autre moyen pour se repérer que leur carte de navigation à vue…sauf qu’ils ne voient le sol qu’à la verticale sous eux !

Les leaders discutent entre eux, les équipiers tiennent au mieux leur formation afin de ne pas rajouter une perte de visuel à une situation qui commence à angoisser tout le monde ! La tour de Moron est appelée sans plus de résultat qu’avec Séville…les Mystère IV ont tous passé leur IFF sur Emergency et c’est désormais sur « Garde » la fréquence de détresse, que les pilotes tentent de se faire entendre…mais celle-ci est saturée d’appels dans toutes les langues…au sol, tout le monde a enfin compris que la situation se dégradait très vite…le leader annonce son « MAYDAY », réclame en anglais puis en espagnol une position et une guidage radar, tout en virant à l’est…les réponse fusent, s’entremêlent, restent inaudibles…il semble même à un instant qu’un contrôleur américain se mêle à la cacophonie, ordonne un virage au sud avant de disparaître de la fréquence aussi brutalement qu’il y était venu…

Désespéré, le leader vérifie le pétrole restant…plus grand-chose…il tente alors de prendre un cap ouest pour rejoindre la côte et ainsi se repérer…un fleuve est aperçu, le leader croit qu’il s’agit du Guadalquivir…qui passe par…Séville ! Une lueur d’espoir renaît malgré l’autonomie restante…5 minutes ! Mais le fleuve arrive à la mer…sans avoir aperçu Séville…il s’agit de la Guardiana…bien plus à l’ouest !…virage désespéré à l’est pour tenter de rallier Séville…

« Riquet noir 3, j’éteins… » chacun savait que cela allait arriver…sans vraiment y croire…Le numéro 3 ne sera que le premier des 6 Mystère IV à s’éjecter. Les 5 suivants, la dernière goutte de kérosène brulée suivront le même chemin…Comme tous les pilotes qui ont dû s’éjecter en ayant un peu de temps pour s’y préparer, aucun n’a envie de sortir de ce cockpit douillet et accueillant…même si l’avion ne fonctionne plus ! Le leader est KO. Abasourdi par la rapidité avec laquelle un simple vol de navigation haute altitude a pu basculer dans un enfer dont il espère que tous ses équipiers vont revenir…assommé par l’immense poids de la responsabilité de sa charge…6 avions au tas…quel fiasco !

Les 6 avions sont tombés sans faire de victimes…les 6 pilotes sont revenus indemnes…redressant fortement les statistiques d’éjections réussies sur Mystère IV ! Une énorme polémique médiatique a suivi cet accident…on dit même que celui qui a annoncé l’accident au Général de Gaule s’est trompé et a annoncé la perte de 6 Mirage IV, tout nouveau fleuron des forces aériennes nucléaires de l’époque, déclenchant une colère monstrueuse de la part du chef de l’Etat…légende ou réalité ? La réalité fut cependant très féroce pour le leader de la patrouille…mis en cause, il sera exclu des cadres de l’Armée de l’Air et rendu à la vie civile…

2 Commentaires sur “Le jour ou l’Armée de l’Air perdit 6 Mystère IV

  1. Pavageau says:

    Très beau récit de cette terrible épopée,qui avait bien sûr marqué toute l’AA. C’était encore d’actualité lors de mon passage à Cazeaux en 71.!

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