La suite et la fin de l’article…
Pour ceux qui n’ont pas lu la première partie : c’est ici
Tous les appareils mettent en route, un seul est en panne et doit prendre le « spare », l’avion de remplacement prêt à partir.
La première partie de la mission se passe de façon presque normale. Les procédures appliquées pendant les opérations dans le golf n’obéissaient plus tout à fait aux règles utilisées en France. Notamment en ravitaillement en vol.
Le ravitaillement en France jusqu’à la guerre du golfe était en effet l’apanage des FAS, les Forces Aériennes Stratégiques, pas vraiment connues pour leur souplesse ! Pas question de ravitailler en virage, en box de plusieurs ravitailleurs, de déplacer de quelques milles le circuit de ravitaillement prédéterminé…aucune souplesse d’emploi ! Seuls les convoyages et les opérations africaines autorisaient de légères sorties du cadre. Dans le golfe, le ravitaillement en vol se fait en box de plusieurs ravitailleurs empilés les uns au-dessus des autres, les nécessités opérationnelles rendent obligatoire le ravitaillement en virage, etc… Il faut ici rendre hommage aux équipages des Boeing ravitailleurs français qui ont très vite quitté leur carcan procédural habituel pour se mettre réellement et très efficacement au service des chasseurs et qui ont su changer durablement leurs procédures au retour en France.
Le ravitaillement se passe bien. Pourtant, le JAGUAR souffre d’un défaut : son manque de puissance. Les moteurs délivrent effectivement une puissance relativement faiblarde. A tel point que parfois, l’avion est au max de sa puissance disponible pour ravitailler et qu’il se met à reculer inexorablement. Un appel radio « TOBOGAN » incite alors le ravitailleur à réduire ses moteurs et à se mettre en descente…le JAGUAR peut alors suivre. Pour cela, il faut cependant que l’espace aérien sous le circuit de ravitaillement soit libre…
Bref nos jaguars sortent avec le plein de carburant et plongent en très basse altitude. Ils approchent de la frontière Koweito-Saoudienne et l’horizon s’obscurcit sensiblement. Les Irakiens avaient en effet creusé et rempli de pétrole un immense fossé…et y avaient allumé le feu dès le début de l’attaque coalisée. Un immense rideau de fumée noire a envahi le ciel au-dessus du désert, réduisant la visibilité du vol.
Il faut ici se souvenir des conditions du vol ! Le JAGUAR à cette époque dispose comme unique moyen de navigation d’un calculateur assez ancien et avec une très grande propension à dériver. Il faut donc des repères au sol pour le « recaler ». Or, dans le désert, il n’y a pas énormément de points de repères…et lorsque la visibilité est réduite…et bien vous ne recalez pas et plus le temps passe, plus le cercle d’incertitude quant à votre position exacte augmente.
Cela n’empêche pas nos JAGUARS de progresser, de larguer leurs bidons de carburant supplémentaire (pour perdre un peu de poids et gagner ainsi un peu de puissance) et de foncer très bas dans le désert…enfin, foncer pour un JAGUAR…c’est tout relatif…mais quand un pilote de JAGUAR dit qu’il vole bas, vous pouvez me croire, les chameaux baissent la tête !
Les 2 patrouilles de 6 avions passent la frontière…et comme le décrit l’un des pilotes, l’enfer s’ouvre à eux. Tout ce qui tire, toute la ferraille disponible quel qu’en soit le calibre est tirée en l’air par les troupes irakiennes. Le salut des pilotes ne se trouve que dans leur vitesse et le vol très très bas.
Un premier JAGUAR est touché, son moteur gauche est en feu. Le pilote, « Bonnaf » n’a rien vu, il a juste ressenti 3 chocs…il sait qu’il est touché avant d’être alerté par les alarmes de panne qui s’allument. Il n’est plus que sur un moteur, perd de la vitesse et après avoir continué quelques minutes, il se résout à tenter de rallier l’Arabie Saoudite. Il n’est pourtant qu’à 2 minutes de l’objectif…mais avec une vitesse de 240 Kts, ayant perdu le visuel des autres avions, il choisit la seule option viable. Il faut saluer ici cette décision qui n’est pas naturelle à un pilote de chasse…faire demi-tour à quelques secondes de l’objectif n’est tellement pas dans les gènes ! Il faut beaucoup de sang froid pour évaluer la situation…passer en dernier après que 11 avions ont déjà attaqué, seul, sur un objectif férocement défendu et avec la vitesse comateuse que lui autorise son moteur restant aurait été à coup sûr un aller sans retour…
Un deuxième JAGUAR est touché ! Au-dessus de l’objectif, un deuxième pilote annonce être touché, c’est un missile qui a touché son réacteur droit. C’est « Mamel », toujours du deuxième box de JAG ! Ils ne le savent pas encore mais Charly vient lui aussi d’être touché ! Sa verrière a explosé et il a ressenti un très violent choc à la tête… il ne dit rien pour laisser Paco, le leader du second box donner quelques consignes à « Mamel ».
Il se décide à annoncer son problème lorsqu’il réalise qu’il perd rapidement du sang en provenance de son casque :
– « Je suis touché, j’ai un trou dans la tête et je pisse le sang. »
– « Tu confirmes « Charly » ! » interpella « Schnapy », leader du premier box et responsable de la mission.
– « Je confirme, j’ai un trou dans la tête, je pisse le sang et je vais monter. »
– « Non, non ! » Plusieurs voix venaient de répondre en même temps.
– « « Charly », sors d’abord ! » s’écria le chef.
– « Le but 20 « Charly », va vers la sortie ! »
Tout le monde est passé sur l’objectif et a délivré son armement…la priorité est désormais de quitter la zone dangereuse au plus vite.
Photo SIRPA
C’est pas haut ! Un pylône d’environ 9 m de hauteur au même niveau que l’avion d’ou est prise la photo !
Pendant ce temps, « Bonnaf » et « Mamel » quant à eux se voient, restent ensemble et se décrivent mutuellement les dégâts sur leurs avions en se dirigeant vers l’Arabie Saoudite.
Cependant, le trajet retour n’est pas calme ! Les JAGUARS survolent à nouveau des zones très défendues… « Jésus » est à son tour touché ! Il sera le seul du premier box de 6.
« Bonaf » et « Mamel » se dirigent vers AL jubaî, le terrain le plus proche et s’y posent en urgence. Ils découvriront après l’atterrissage qu’ils ont suivi involontairement un couloir sans aucune présence irakienne après avoir été touchés…la chance !
Les 10 autres rentrent sur Al Ahsa. Les 10 pilotes seront marqués par le silence qui règne à leur arrivée. Les mécanos ont compté les avions…10 au lieu de 12…2 pistards ne peuvent pas retenir leurs larmes…leur avion…leur pilote n’est pas là avec les autres ! Lorsqu’on pilote ces avions, on a toujours du mal à envisager les émotions de ceux qui restent au sol mais sont en contact proche avec les avions. Mécanos, contrôleurs…souvent des vrais passionnés qui vivent leur métier avec un engagement émotionnel total ! L’attente du retour des JAGUAR a dû être interminable…
Bilan :
Tout le monde est rentré !
Un pilote blessé (10 cm de plaie à la tête et pas mal de sang perdu, la balle a traversé le casque…en scalpant le cuir chevelu…certains diront que la mort est passée littéralement à “un cheveux”).
4 avions touchés.
- L’un par missile Infrarouge courte portée
- Les 3 autres par balles de petit calibre
Le réacteur de Mamel
Photo SIRPA
Cette mission a été la dernière réalisée en très basse altitude. Les missions suivantes seront réalisées en moyenne altitude.
Nombreux sont ceux qui ont critiqué le choix du profil du vol.
En effet, le vol a très basse altitude a laissé nos JAGUAR à portée de tir des armes de petit calibre et des missiles infrarouges à très courte portée. C’est vrai.
Cependant, en restant objectif :
- Qui aurait parié que la défense anti-aérienne irakienne serait rendue inopérante en quelques heures ?
- Qui avait critiqué le choix du profil très basse altitude avant cette mission ? Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu l’un des pilotes de la mission critiquer ce choix.
Dès le lendemain, c’était modifié…les JAGUAR devront d’ailleurs subir une modification de leur système de tir en urgence…les premiers tirs de bombes non guidées se faisaient « au chewing-gum » collé sur le viseur !
Photo A.Mahagne
Le casque de “Charly”. En rouge le point d’entrée de la balle !
A mon sens, il faut retenir que personne n’a reculé, chaque pilote a joué son rôle, réagissant de façon très professionnelle aux turpitudes de cette attaque. N’oublions pas non plus tous les personnels au sol qui, comme les pilotes ne savaient pas ce qui les attendait, subissaient les alertes SCUD incessantes et ont servi avec dévouement la coalition créée pour libérer le Koweit.
En hommage au Général “Schnappy” Mansion, la vidéo dans laquelle il raconte le vol :
Le récit est tiré de nombreux témoignages des pilotes du raid que l’on trouve sur internet. Un exemple sur l’excellent site de la 11èmeEscadre de Chasse : www.pilote-chasse-11ec.com
Ou encore dans le non moins excellent livre d’Alain Mahagne (l’un des pilotes du raid) : « Jaguar sur Al Jaber »
Un livre écrit par le capitaine Alain MAHAGNE à l’époque…